(Sainte-Famille)

Il y a d’abord Thomas. Thomas boit parce qu’il a perdu son emploi de concierge à la bibliothèque municipale. Il a perdu son emploi parce qu’il boit. « Quatre ans d’une vie de marde qu’on vient de jeter dans le broyeur », constate-t-il. Rien qui sent bon. Pas de chaleur. Dans la petite ville de Sainte-Famille, c’est le désespoir, c’est la rage. C’est la chute. Se trouver une job, s’humilier. L’impression d’être flushé – plusieurs petits tours avant d’être avalé par le trou.
Maggie, sa femme, se débat du mieux qu’elle peut avec son quotidien, s’inquiète pour les sous - et pour les claques que Thomas ne manquera pas de lui donner. Elle, c’est les pilules. C’est une femme battue qui s’accuse, qui a peur et qui survit à peine.
Justin, Le fils de ces deux-là. Habité d’une violence dont on l’a nourri et qui ne trouvera la rédemption qu’en la déclenchant à son tour.
(Sainte-Famille) est un roman terrible, terrifiant, prévis, vrai. C’est un signal d’alarme.
L'avis de Mlle Lambert :
La façon dont l’histoire nous est présentée est plutôt déstabilisante. Au départ, on est dans les pensées de Thomas. Les dialogues ne sont pas identifiés et les phrases ne sont pas toutes terminées. Ça semble le foutoir dans son esprit même s’il s’efforce littéralement de classer chacune des informations – pertinentes ou pas – qu’il recueille. Les pensées se chevauchent et se multiplient.
Heureusement, les chapitres sont très courts, ce qui élimine l’effet de lourdeur qui aurait pu découler de ce style d’écriture, surtout pour les lecteurs comme moi qui ne sont pas des habitués à ce genre de plume.
Et contre toute attente, malgré le chaos dans la tête des personnages, il m’a été facile d’entrer dans l’histoire, d’étiqueter les différents personnages, de visualiser l’environnement et de ressentir l’ambiance. J’étais déstabilisée, mais incontestablement conquise par la plume de Mathieu Blais.
C’est un récit sombre et dur, écrit pour choquer et pour dépeindre une réalité qui, malheureusement, existe plus qu’on l’imagine. Violence conjugale, abus sexuels, infidélité, automutilation… C’est un roman terrible d’où transperce un désespoir qui ne peut faire autrement que de nous toucher en plein cœur.
xx
Auteur : Mathieu Blais
Éditions : Leméac
Parution : Août 2017
Pages : 140
2) Pourquoi devrions-nous vous embaucher, monsieur Saint-Jacques?
Mon intégrité, monsieur, et ma loyauté – et je ne me laisse pas influencer par les autres caves avec qui je travaille généralement – je suis un nègre, et un bon à part de ça, servile et obéissant, Québécois pure laine, Canadien français assumé et je dis « oui, monsieur » à pratiquement n’importe quoi, du moment qu’on me le demande, je me laisse prendre par n’importe qui, du moment qui ça suit le courant, du moment qu’on me paie – une pute, monsieur, une vraie, et qui en redemande, et qui dit merci en s’essuyant la bouche. –
Mes réponses sont brèves, il fait semblant de m’écouter. Il regarde ses papiers sur son bureau, peut-être mon CV – prend des notes. Par-dessus moi, une télé est allumée : LCN, taponnage médiatique en continue, scandale sur scandale, il a fermé le son, mais son regard glisse parfois par-dessus moi, jette un coup d’œil aux titres qui défilent, Ça pue le Brut original et les cendriers pleins. Je n’ai pas chaud, je n’ai plus peur, je n’ai rien à perdre, alors –
3) Pourquoi avez-vous quitté votre emploi?
Besoin de découvrir de nouveaux horizons, monsieur Guilgal, besoin de relever de nouveaux défis – et je commençais à être défraîchi – en fit, je ne l’ai pas quitté, monsieur, on m’a colissé dehors comme un malpropre, on m’a accusé de vol, on n’aimait pas ma présence ni mon hygiène personnelle, on remettait en question ma sobriété, mon honnêteté, mon professionnalise, on ne soupçonnait de regarder sous les jupes dans la salle commune, de m’attarder dans les toilettes des femmes et, en fait, très sincèrement, je ne supportais plus le visage constipé de ma patronne à qui je rêve encore d’en maudire une –
Il a relevé la tête à « nouveaux défis » je crois, un sourire est venu fendre son visage, rapidement, comme le flash d’un appareil photo. Le reste s’est passé au fond de ma tête.