Gueusaille
« Denise tergiversait. La vieille, trop directe, la heurtait, rognait le courage qu’elle avait mis à venir s’asseoir en haut de la montagne. Et ce mot, courage, résumait bien ces heures à tourner en rond dans le centre-ville, à se délester à chaque coin de rue de ses craintes morbides, à se convaincre de réagir, à s’imaginer — quelle folie! — que la vieille pouvait… était… cette présence qui la hisserait des ténèbres. »
Deux femmes d’horizons opposés trouveront dans la misère la source d’une camaraderie improbable. Vivant dans un univers impitoyable exacerbé par la crise du verglas de 1998, Olga, Denise et leurs compagnons d’infortune sont témoins et acteurs des injustices d’une société menée par l’appât du gain et des largesses de ceux qui en sont libres. Gueusaille retouche le discours entendu de la résilience des plus pauvres, lui ajoutant les couleurs de la force, de la dignité, de la solidarité et de l’indépendance.
Il faut le lire… un roman social, mais pas à thèse… des personnages au seuil de l’itinérance qui veulent garder cette dignité humaine qui permet de vivre. Très belle écriture, très sensible. — Pascale Navarro, Indicatif présent, Radio-Canada.
L'avis de MissDupont :
On ne naît pas itinérant, on le devient. Certains le font par choix, d'autres le deviennent malgré eux.
Denise l'est devenu malgré elle. Coupure de poste, mises à pieds à grande échelle... les boulots se font rares et les liquidités disparaissent également. Bien qu'elle soit en mode survit, elle ne le criera pas sur tous les toits, après tout... elle a de l'orgueil. Mais c'est l'idée que l'on se fait dès le départ puisqu'elle mentionne parfois sa vie d'avant. Sa vie où elle était toujours à la course dans le centre-ville des affaires... au volant de sa voiture de l'année. On se demande alors "Mais que s'est-il passé pour qu'elle en soit maintenant au point de devoir ratisser les fonds de poubelles?"
On la découvrira peu à peu au fil de son quotidien, à travers les réalités de la pauvreté tout en ouvrant notre esprit sur ce qu'est vraiment le milieu de l'itinérance. Parce que dans le fond, qu'en sait-on réellement ? Notre vision est plutôt surfaite en raison de ce que le milieu cinématographique veut bien nous laisser croire.
Je n'avais pas d'attente particulière en commençant cette lecture. Par contre, je dois admettre que je serais passée à côté de quelque chose si je ne l'avais pas lu. Ce roman, publié initialement en 1999, aborde les thèmes de la pauvreté, du chômage, du deuil, de l'isolement mais aussi de la critique sociale. C'est aussi un récit qui vient éveiller notre côté empathique, notre côté humain et qui nous fait réaliser que du jour au lendemain... ça pourrait être nous!
Auteure : Lise Demers
Éditions : Sémaphore
Parution : Février 2017
Pages : 203
Olga était légèrement ivre. La journée avait été harassante et en fin d'après-midi, elle s'était payée quelques bières. Elle commença à lui raconter une histoire si abracadabrante que Denise riait, sans la croire. Tout avait commencé une douzaine d'années plus tôt, une nuit qu'elle transvidait des fonds de bouteilles derrière le restaurant Chez Hadrien. Le chef cuisinier l'avait surprise, engueulée comme une malpropre avant de se calmer et de la faire entrer.
- Et tu sais ce qu'il m'a servi, ce cuistot ? Mon infâme ami Hadrien?
- Pas vraiment.
- Tu ne pourras jamais imaginer... Du poulet et du potage Parmentier !
- C'est pas mal.
Olga riait, se sentait en verve.
- Tu te rends compte, Denise ? Parmentier. Un si beau nom pour des patates. Quel culot il a eu, mon Hadrien ! Me donner, à moi, une soupe de patates, comme j'en fais les jours de disette ou des fins de mois difficiles. Ah ! Si les pauvres savaient qu'ils mangent de la bouffe des riches, à quoi serviraient les révolutions, veux-tu bien me le dire ?