Mémoires d'un homme inutile

Publié le par MissDupont

Complètement indifférent, j'allais partir lorsque j'aperçus un chalet qui était un peu à l'écart des autres. Il était construit sur un cap de roc escarpé qui, comme la proue d'un bateau, me donnait l'impression de fendre la mer. C'était de toute beauté. Je lui ai demandé s'il était à louer.

- Bien sûr qu'il est à louer! Mais personne n'en veut, à cause du bruit des vagues qui viennent s'écraser sur le muret de pierre. C'est à n'y rien comprendre, louer un chalet sur la plage et ne pas aimer le bruit des vagues. On peut visiter si vous voulez!

- C'est inutile, je le prends.

- Pardon?

- Pas de visite, c'est lui que je veux, donnez-moi les papiers.

- Vraiment! Bon, c'est comme vous voulez.

L'avis de MissDupont :

«Le verdict est tombé avec la force et la précision du couperet d'une guillotine.
Je vous donne ma parole, le bruit fut sec, brutal et sans merci.
J'ai appris que j'allais mourir un mardi en rentrant du travail.
Fuck... Vous tenez vraiment à ce que je vous raconte tout du début?»

Dès le premier paragraphe, le ton est donné. On embarque dans le périple fort intéressant qu'est la vie de Monsieur Dubreuil. Oh n'allez pas croire qu'il est un homme d'action et qu'il a mené une existence haute en couleurs... Non! Pourtant, on ne se lassera pas de "l'écouter" nous (bon ok... à la travailleuse sociale et non à nous personnellement) raconter ce qu'aura été son quotidien des six derniers mois de sa vie. Car voyez-vous, six mois c'est tout ce que la docteure lui donne suite à l'annonce de son cancer au cerveau... pour lequel il refusera les traitements de chimiothérapie.

Jacques est fonctionnaire de métier, récemment divorcé, et nullement en lice pour la médaille du père de l'année. On pourrait le qualifier comme étant un homme ordinaire, du genre pessimiste, quelque peu nonchalant et pourtant on le trouvera attachant... probablement en raison de sa repartie. 

Vous me direz que cette lecture doit être particulièrement triste, car on le sait condamné d'avance et qu'une tumeur de ce genre ne peut faire autrement que de le faire atrocement souffrir dans les derniers milles. Oui, ça aurait pu être le cas, mais non! Disons plutôt que nous faisons face à une lecture profonde qui nous confronte à de durs sujets que la vie peut nous mettre dans les pattes à tout moment et qui nous amène à faire quelques réflexions.
Un récit à la fois lumineux, sensible et nécessaire.

Auteur : Camilien Roy
Éditions : Perce-Neige
Parution : Septembre 2017
Pages : 282

À peine installé derrière le volant, je partis en vitesse. Secoué, je sentis un malaise m'envahir. Le dos mouillé de transpiration, les mains prises d'un léger tremblement, je pouvais à peine me concentrer sur la route. Un bruit sourd et strident me bouchait les oreilles. Ma première réaction fut de fuir. J'avais encore suffisamment d'argent sur moi, je pouvais prendre la route et rouler pendant des jours et des nuits et traverser tout le pays si je le voulais. Jamais je ne retrouverais ma tête épinglée sur le babillard d'une petite épicerie de village quelque part en Alberta ou en Colombie-Britannique. Pendant un moment je cédai à la panique. Pour me calmer, je dus stationner mon auto sur le bas-côté de la route. Respirant profondément, les yeux mi-clos, je tentais d'y voir clair. Si je voulais partir, je devais d'abord retourner au chalet pour ramasser mes affaires. J'ai fermé les yeux et repris lentement le contrôle de mes sens. Et là, comme un mantra, je me suis mis à répéter: Fuck, Fuck, Fuck, Fuck.

Extrait p.143

Crédit Photo : Bookivores

Crédit Photo : Bookivores

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